mercredi 8 avril 2009

L'art somptueux de la dévotion: "De Sienne à Florence"

Des oeuvres de très grande qualité, riches et raffinées... voilà bien le credo du Musée Jacquemart-André qui, ce printemps, rivalise avec les Lippi du Luxembourg (que je ne suis pas- encore?- allée voir) en présentant "De Sienne à Florence... Les Primitifs Italiens de la Collection d'Altenbourg".

La collection de Primitifs Italiens du musée d'Altenbourg, constituée au début du XIXe siècle par le baron, homme politique et amateur d’art allemand Bernard von Lindenau (1779-1854), ouvrit ses portes au public en 1848 dans la ville natale du collectionneur. Ce dernier souhaitait en effet favoriser l’accès du plus grand nombre à la culture « pour l’éducation de la jeunesse et le plaisir des anciens ». Tombée dans l'oubli sous le régime communiste, cette collection fut redécouverte après la réunification allemande.

"De Sienne à Florence" est l'occasion de s'immerger un temps dans la précieuse production picturale toscane du XIIIe au XVe siècles. Le parcours, comme l'indique le titre de l'exposition, nous fait voyager de la gothique Sienne à son éternelle rivale, Florence, où naquit la Renaissance. De Lippo Memmi à Lorenzo
Monaco, on ne cesse de s'émerveiller devant l'habileté et la subtilité du travail de ces premiers maîtres. Peintes avec patience et virtuosité, leurs images sont des microcosmes où l'oeil se perd. Notre regard parcourt les oeuvres sans se lasser des détails, de la richesse des couleurs (les drapés et les carnations sont les lieux de modulations infinies), de l'expression de ferveur et de sérénité des Vierges à l'enfant.
Fortement marquées par l'influence byzantine de la dynastie contemporaine des Comnènes, les premières oeuvres siennoises sont proches des icônes à fond d'or. Elles sont empreintes d'un fort pathos, souligné par le vigoureux cerne qui dessine les figures et objets (Guido de Siena, panneaux de prédelle vers 1270). Des années 1350 à la fin du XIVe siècle, les Siennois affirment leur gothique international, riche et minutieux. Légers et sinueux, leurs personnages sont vêtus de drapés colorés chatoyants (vert tendre, roses, ou lapis-lazuli) qui se découpent sur des fonds d'or.
Rivales politiques, Siennes et Florence sont aussi en concurrence esthétique. Sienne perfectionne le gothique international pour rivaliser avec les prémices de la Renaissance florentine. Malgré cela des échanges ont lieu et les recherches contemporaines des Florentins transpercent dans l'art précis et chatoyant de Sano di Pietro ou Pierto di Giovanni d'Ambrogio - formé chez Sasseta. Ils introduisent dans leurs oeuvres des éléments perspectifs et les corps de leurs personnages gagnent en ampleur.
C'est finalement Florence, représentée à partir du XIVe siècle par Giotto, Nardo di Cione ou Bernardino Daddi, qui domine sa rivale. Sienne est définitivement mise à l'écart à l'issue de la victoire à San Romano en 1432. Puissance politique et militaire, riche du commerce des banques, Florence et ses mécènes permettent à l'art religieux un épanouissement exceptionnel. Représentant de la "manière colorée" Fra Angelico est exposé à travers deux superbes panneaux: un miracle de la jambe noire et une "Preuve par le feu de Saint François devant le sultan".

Grâce à un accrochage clair, on comprend aisément les différences et liens entre les deux foyers artistiques successifs. Cependant, la qualité des oeuvres ne fait pas tout, et si ces dernières témoignent de la richesse de leurs commanditaires, l'exposition est avare en explications! Les textes muraux sont très succints et les cartels réduits au minimum. Par exemple, parmi les œuvres venues d’Altenbourg, certaines proviennent de polyptyques aujourd’hui dispersés. L’exposition se veut l’occasion d'en reconstituer certains grâce aux prêts de grands musées français, allemands, anglais et italiens. Malheureusement, aucun cartel allongé ou "panneau pédagogique" n'explique la disposition des éléments composant lesdits polyptyques, et l'accrochage ne la suggère pas non plus.
Y aller, pour le plaisir des yeux avant tout.


Jusqu'au 21 juin 2009. Ouvert tous les jours. site ici

Illustrations:
[1] Lippo Memmi, Sainte Marie Madeleine, panneau du polyptyque pour l’église San Palo à Ripa d’Arno, 1290-1347, Musée du Petit Palais, Avignon © René-Gabriel Ojéda
[2] Guido Da Siena, L'adoration des Mages, panneau de prédelle pour l’abbaye d’Ardenga à Montalcino, vers 1270-1280, Musée Lindenau, Altenbourg © Bernd Sinterhauf, Lindenau Museum, Altenburg, 2008
[3] Fra Angelico, La preuve par le feu de Saint François devant le Sultan, (1429)
© Bernd Sinterhauf, Lindenau Museum, Altenburg, 2008