samedi 21 février 2009

Giorgio de Chirico

Le Musée d'Art Moderne de la ville de Paris présente actuellement une rétrospective de l'oeuvre de Giorgio de Chirico (1888-1978) "Giorgio de Chirico: la fabrique des rêves". Peintre italien d'origine grecque, partagé entre Rome, Florence et Paris, de Chirico appartient sans conteste à la première moitié du XXe siècle. Comme ses contemporains, il s'interroge dans les années 1910 sur le devenir de la société industrielle, explore l'absurde et le rêve pendant la Première Guerre, avant d'opérer un "retour à l'ordre" dans les années 1930-1940, en regardant les oeuvres du passé.

Les premières oeuvres exposées sont des portraits, peints dans les premières années du siècle. Ils sont peints à mi-corps, de trois quart ou de profil, sur des fonds neutres. Une margelle au premier plan crée la distance avec le spectateur. On comprend dès l'entrée le poids de la culture italienne de Giorgio de Chirico. Il peint ici selon l'exact schéma traditionnel du portrait de la première renaissance, celle des Antonello da Messine, Pisanello, Piero Della Francesca.
Les années 1910-1915. voient l'explosion de la singularité de Giorgio de Chirico. Prémices de la création en 1915 avec Carrà du mouvement "La Metafisica", les peintures de Chirico sont des images immobiles, des représentations de villes désertes et silencieuses, déshumanisées. L'artiste mène une réflexion sur l'homme et son devenir dans la société industrielle du XXe siècle. La figure humaine est presque oubliée, elle est un pantin, un mannequin de bois sans visage, une ombre, lorsqu'elle n'a pas disparu du tableau. Les seuls personnages sont des statues. Résurgences d'une antiquité imperturbable et indestructible, ces hommes ou femmes de marbre blanc semblent méditer, la tête appuyée sur leur main, sur la condition de l'homme moderne. Le décor d'architecture est minimaliste, froid. Les constructions, des usines, des gares et des "immeubles" intemporels, lisses et clairs, sont animés par des voûtes en plein cintre, souvenir étrange des principes antiques et renaissants de l'architecture italienne: la géométrie et l'équilibre, l'utilisation du carré comme module de construction. Cette modernité apparemment parfaite ne l'est pas tant que ça, elle commence même à se fissurer, comme en témoignent quelques légères fentes sur les crépis blancs.
En 1911 de Chirico s'est installé à Paris. Lié d'amitié avec Guillaume Apollinaire, il s'est rapproché des surréalistes et ses oeuvres, à la perspective géométrique rigide, au coloris froid et acide, forment des images oniriques et inquiétantes qui ne sont pas sans évoquer celles contemporaines de Max Ersnt.
Autonome, de Chirico affirme sa peinture métaphysique, entre surréalisme et obsession pour l'art classique: les figures de l'antiquité gréco-romaine, les sujets mythologiques sont en effet de plus en plus récurrents ("Hector et Andromaque"). Dans le tableau "Archéologie" (1927) les deux personnages assis, des mannequins drapés à l'Antique, semblent anéantis sous le poids d'une antiquité à la fois nécessaire et trop présente, comme un écho aux campagnes de fouilles fascistes menées à Rome dans ces mêmes années, dans un but de glorification nationaliste.

Le travail des années 1930, narratif et absurde, soigneusement peint dans un style presque naïf, fait songer au surréalisme tardif de Magritte, notamment avec la série des "Bains mystérieux".
Les années 1940 et suivantes, que de Chirico passe entre Rome et Florence, se partagent en deux grandes tendances: un travail d'après des oeuvres de grands maîtres (Watteau, Rubens, Véronèse, Fragonard...) et un travail de copie de ses propres oeuvres de la première période métaphysique des années 1910. Ni virtuoses ni animées d'un souffle nouveau, les oeuvres d'après les maîtres, sans être de véritables copies, ne sont pas non plus des réinterprétations. Les couleurs sont lourdes, presque vulgaires. Seul se distingue un étonnant autoportait nu, qu'on pendrait presque pour un Lucien Freud.
Quant aux copies de ses propres oeuvres - bien moins subtiles au niveau du coloris et de la touche que les originaux - s'agit-il d'un délire égocentrique ou au contraire d'un certain désespoir, comme si s'exprimait dans la redite le regret et la frustration de n'avoir jamais pu faire mieux?

En effet, les peintures métaphysiques sont des coups de poing visuels. C'est là la véritable invention de la peinture de Chirico: une peinture forte, graphique, silencieuse et inquiétante. Pressentiment du fascisme, questionnement sur l'être et son devenir, sur l'histoire et son inéluctabilité. C'est donc, selon moi, pour cette première partie qu'il faut se rendre au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris.

Du 13 février au 24 mai 2009.
Cliquer ici pour le site de l'expo.

Illustrations:
[1] Les Epoux, 1926, Musée de Grenoble
[2] Mélancolie, 1912 , Londra, Estorick Collection
[3] Archéologie, 1927
[4] Bains mystérieux II, Collection Particulière, Courtesie Gallery dello Scudo, Verone

dimanche 15 février 2009

Sous l'Empire des crinolines, 1852-1870


Paris, musée Galliera
Du 29 novembre 2008 au 26 avril 2009
Plus de 300 pièces... mais pour une fois ça n'est pas trop!



La crinoline incarne, dans nos imaginaires remplis de contes de fée, un faste princier. C'est en songeant à mes déguisements de princesse que je suis entrée dans l'exposition. Effectivement, la crinoline est un symbole des fastes du Second Empire, qui s'exprime à travers les Expositions Universelles et les réceptions de la cour.

Cette exposition ne remet absolument pas en cause notre imaginaire, ce qui est réellement agréable. Elle se déroule comme une promenade au milieu de la haute société : des mannequins impersonnels mais aux coiffures d'époque, portent les robes somptueuses et dominent légèrement le spectateur, juchés sur de vastes estrades. La muséographie vise à évoquer le luxe de l'époque grâce à des impressions murales de frises, par l'emploi de couleurs affirmées (bleu, jaune, noir, rouge) qui ne nuisent cependant pas aux vêtements, et par des jeux de miroirs qui multiplient les crinolines exposées. Des "coins" sont aménagés pour les enfants, dans des recoins... et fréquenté par un public de 7 à 77 ans ! Comme quoi, les petits bouts de tissus que l'on peut (enfin!) toucher, ça concerne tout le monde.

Loin de se contenter d'un beau défilé de femmes du monde, l'exposition organise son discours en trois temps principaux: l'apparat, la scène de Bal; la crinoline et la Vie moderne (des bains de mer à la transformation des industries textiles), et le luxe. Les accessoires de l'habillement sont ainsi présentés dans des vitrines thématiques : éventails, bijoux, ombrelles, chaussures... Des textes muraux et des cartels explicatifs ponctuels donnent des explications, mais l'on ressort surtout frappé par les objets exceptionnels exposés, la qualité des textiles, la virtuosité des ivoires, des bijoux et la préciosité de l'ensemble. L'exposition donne à voir et à comprendre un pan de la vie -essentiellement féminine- des hautes sphères du Second Empire, par quelques informations judicieusement illustrées. La présentation s'achève de manière très pertinente sur la postérité de ce style vestimentaire qui a inspiré couturiers et cinéastes. Malheureusement, les derniers espaces pêchent un peu par leur exiguïté.

Pour toutes celles qui se sentent l'âme d'une petite fille, qui auront envie de choisir leur robe (ou d'essayer le jupon à cerceau du parcours enfant), je vous recommande cette exposition!! Pour tout ceux qui veulent les accompagner, c'est une véritable remontée dans le temps, qui rend perceptible la sensibilité d'une époque.

Catalogue : 39 euros
Lien vers la page de l'exposition

vendredi 6 février 2009

Petit séjour sur l'île de Pâques

Retour de vacances, mémoire, séminaires, exposés, nombreuses fins d'expositions ... Janvier ne fut pas propice aux critiques (même si je suis allée visiter Emil Nolde, Nikolaï Abildgaard) mais "L'oeil à l'oeuvre" continue en 2009, et je commencerai cette année par un article sur une exposition consacrée à la civilisation océanique "Rapa Nui, l'île de Pâques" en ce moment et jusqu'au 1er mars à l'Espace Fondation EDF.

Organisée sur trois petits niveaux l'exposition amène le visiteur à découvrir progressivement l'île de Pâques et les hommes qui y vivent, les objets qu'ils produisent, leurs croyances, leur écriture et leur histoire.

Dans un premier temps nous prenons connaissance des lieux. Sont expliqués géographie, géologie, faune et flore de l'île de Pâques, la terre peuplée la plus isolée de la planète. En effet, plus de 2 000 km séparent la première île Polynésienne de cette petite terre dont la formation est due à la proximité de trois volcans océaniques. À peine plus grande en superficie que la ville de Paris, l'île de Pâques ne fut habitée qu'à partir de l'an Mil de notre ère, suite à l'arrivée de courageux navigateurs Polynésiens (venus semble-t-il des Marquises).
Nous découvrons ces hommes, leur alimentation (de la pêche aux plants apportés en bateaux depuis leur région d'origine), la hiérarchie de leur société ainsi que leurs croyances. Comme en Polynésie, on célèbre les ancêtres et des Dieux à travers des chants, danses, manipulations d'objets cultuels, lors de cérémonies où l'on porte des vêtements décorés de plumes. L'art corporel des tatouages, à la fois rituel et ornemental nous est rappelé à travers des photographies contemporaines et des dessins de Pierre Loti.
Après la prospérité des premiers siècles d'installation, une catastrophe naturelle décime la forêt de l'île au cours du XVIIe siècle. Un siècle après à peine, la tragique arrivée des navigateurs hollandais - en 1722 le jour de Pâques-, puis l'esclavage, les épidémies et les missions évangéliques marquent l'anéantissement de la culture Rapa Nui. Culture riche, dont les traces matérielles témoignent: rares peintures rupestres, rochers sculptés, assemblages de plumes, sculptures de pierre ou de bois.
La production sculptée, qui ne se réduit pas aux monumentaux Moai de pierre aux visages graves et muets, privilégie très largement la représentation anthropomorphe ou hybride. Les pascuans sculptent dans un bois brun rouge sombre, dense et brillant, le sophora, une multitude de personnages, d'entités spirituelles, ancêtres ou divinités. Il s'agit tantôt d'hommes ou de femmes d'âge moyen, les moai tangata, tantôt de personnages "aux côtes saillantes" les moai kavakava, , ou encore de représentations chimériques telles que l'homme-lézard, moai moko, ou le moai manu, l'homme-oiseau. Seules les têtes de ces personnages aux longues oreilles, sourcils continus en arêtes de poisson, yeux ronds incrustés, bouche ourlée et crâne incisé d'une pieuvre ou d'une tête barbue, sont parfois représentées sur des bâtons rituels (au) ou ornements pectoraux en demi lune (reimiro).
Le raffinement, la précision et la fluidité des formes sculptées se retrouvent dans les signes souples et comme aquatiques de leur écriture. Les pascuans avaient en effet mis au point une écriture composée de milliers de signes qu'ils incisaient sur des tablettes de bois. Cette épigraphie dite rongorongo demeure indéchiffrée. Son sens de lecture est complexe: on lit de bas en haut et de gauche à droite, chaque ligne étant inversée par rapport à la précédente (il faut donc lire en tournant la plaquette à chaque fin de ligne).

Petite, claire, pédagogique et dépaysante, cette petite exposition dont les commisaires sont deux époux chercheurs et anthropologues au CNRS (Michel et Catherine Orliac), est organisée par la Fondation EDF Diversiterre. Elle est par ailleurs gratuite... je ne vois donc aucune bonne raison de ne pas s'y promener.

20 novembre 2008 – 1er mars 2009
cliquer ici pour le site de l'expo.