jeudi 27 novembre 2008

Jacques Villeglé - La comédie Urbaine

Quand j'étais au lycée, ou même en premier cycle, le Nouveau Réalisme était abordé en cours un peu différemment des autres mouvements. Non seulement on parlait autant du contexte social et politique que des oeuvres, mais on ne montrait rarement plus d'une oeuvre ou deux par artiste. Comme si le mouvement était l'artiste et l'artiste, une oeuvre (si vous suivez...)

Mouvement français contestataire des années 1960, fortement marqué politiquement et socialement, le Nouveau Réalisme incarne le refus de la société de consommation venue des États-Unis. L'omniprésence de l'image, la publicité, les couleurs fraîches et clinquantes, les objets neufs et modernes (appareils électro-ménagers, voitures etc) sont matériellement et/ou symboliquement détruits par les artistes qui signent en 1960 le Manifeste de Pierre Restany. Les premiers signataires, en mai 1960 à Milan, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Yves Klein, Jean Tinguely et Jacques Villeglé, sont rejoints jusqu'en 1963 par Martial Raysse, Daniel Spoerri, César, Mimmo Rotella, Niki de Saint-Phalle, Gérard Deschamps et Christo.
Ainsi, Jacques Villeglé fait partie du mouvement dès sa création et sa production correspond parfaitement aux revendications anti-consuméristes évoquées ci-dessus. Ami avec Raymond Hains depuis 1945, il arrache des affiches dans les rues de Paris à partir 1949. Il se revendique "flâneur", retouche rarement les affiches qu'il lascère et décolle des murs parisiens avant de les maroufler sur toile, et ne donne jamais pour titre autre chose que le nom de la rue et la date du décollage. Il détruit ainsi l'image lisse de la publicité, l'envie de la consommation. Se créent des jeux de matière, de superposition de couches, de typographie. Les mots et les images se rencontrent, s'opposent, donnent naissance à des chocs esthétiques, sémantiques etc.
L'exposition rétrospective de Beaubourg Jacques Villeglé - La comédie Urbaine nous présente en 9 salles le parcours de Villeglé. Plutôt bien réalisée, l'exposition suit un plan chronologique tout à fait bien venu puisqu'il s'agit d'une stricte monographie. Le découpage est clair, les murs colorés... Mais cela n'a malheureusement pas réussi à me convaincre de l'intérêt de l'art de Jacques Villeglé. Si j'apprécie, esthétiquement et contextuellement, ses palimpsestes colorés et modernes des années 1960, j'ai été très déçue d'apprendre qu'il n'avait jamais rien fait d'autre, si ce n'est un alphabet - tantôt socio-politique tantôt onomastique - à la typographie amusante mais peu révolutionnaire. L'artiste, aujourd'hui âge de 82 ans, semble avoir trouvé avec les publicités arrachées le "bon filon" et certainement les mécènes/ collectionneurs qui vont avec, et il n'en est jamais sorti. Celui qui se revendiquait contestataire en 1960 apparaît en 2008 un artiste peu imaginatif, routinier et systématique.

Si l'approche très réductrice qu'on fait des artistes nouveaux réalistes dans l'enseignement de l'Art du XXe siècle ne se justifie pas toujours (les carrières de Klein, Niki de Saint-Phalle ou César ne peuvent être comprises à travers une seule oeuvre) elle semble malheureusement explicable pour la carrière de Villeglé. Une fois qu'on a vu cinq, dix, quinze affiches, on a compris le système. L'artiste se confond ici avec l'oeuvre, elle est sa signature, sa marque de fabrique. Pourquoi pas. Mais peut-être pas pendant toute une vie?

http://www.cnac-gp.fr/Pompidou/Manifs.nsf/0/2DDA4F5D0DA91260C125748F0051CABF?OpenDocument

Photo:
[1] Rues Desprez et Vercingétorix - "La Femme", 1966
[2] Alphabet onomastique, 2006 , Sérigraphie sur Conquéror Vergé
[3] Place des fêtes 3 juillet 1972 Affiches lacérées marouflées sur toile

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très d'accord avec cette critique! J'ai trouvé l'expo bien présentée, mais peu d'informations sont à disposition du visiteur. Résultat, quand on a étudié le mouvement dans son contexte, on ne retrouve absolument pas le lien avec les oeuvres ici exposées... Si on se demande si c'est une volonté du commissaire, ou si c'est juste qu'il n'y en a pas (ce qui parait un peu étonnant quand on connait un peu le mouvement), une interview de Villeglé en fin d'expo nous conforte dans un sentiment qui se développe tout le long de l'exposition : c'est bien la deuxième solution... Quelle déception! Non pas tant de l'exposition, mais de l'artiste, et c'est peut-être pire...