jeudi 13 novembre 2008

Les Femmes d'Alger

Au Louvre, Picasso est accroché à côté de Delacroix autour du thème "Femmes d'Alger".

Quand je traverse la salle communément appelée "des Grands Formats XIXe" j'ai toujours l'impression qu'il flotte dans l'air une sorte de brume grisâtre. Sur les immenses murs rouges cramoisis (façon musée du XIXe) de la salle, les plus grands (au sens propre comme au figuré) Géricault, Delacroix, Ingres, David, Sheffer etc. me paraissent en effet toujours enveloppés d'un voile. Poussière, vieillissement des vernis (chanci, ou brunissement), manière un peu "floue" de certaines oeuvres orientalistes, bref, tout concourt à l'effet de brouillard au premier étage de l'Aile Denon. Je traverse donc la salle, bouscule les groupes de touristes habituels plantés devant Napoléon, et j'arrive dans le Salon Denon, vaste salle carrée où sont habituellement exposés des peintres peu regardés du public (Devéria, Michallon etc).
La dizaine de toiles et dessins de Picasso choque immédiatement. Les couleurs vives, crues, sorties du tube avec violence, empressement et exaltation, les cernes noirs énergiques, contraignants... les couleurs du peintre espagnol sortent littéralement du brouillard ambiant, et l'on aperçoit seulement après les douces Femmes d'Alger de Delacroix, peintes 120 ans avant celle de Picasso. Nombreux sont ceux qui critiquent le jeu de la confrontation à propos des 3 expositions Picasso actuellement à Paris. Il est vrai que la "référence" en art est un problème épineux: comment parler des "sources" iconographiques, techniques, esthétiques d'un peintre sans donner l'impression que son oeuvre n'est qu'une "reprise"? Comment ne pas écraser l'inspirant par l'inspiré (ou inversement)? Dans le cas de la confrontation de Picasso avec Delacroix, je n'ai pas l'impression qu'il faille s'inquiéter de cette possible rivalité entre celui qui inspire et celui qui reprend. Le rapprochement des deux oeuvres du même thème (un univers orientaliste, féminin et clos) fait autant éclater les ressemblances (Picasso reprend des détails iconographiques, la gestuelle de certains personnages, l'idée d'un intérieur fermé etc) que la puissante originalité des deux peintres. Les femmes de Delacroix sont volupteuses, sensuelles, parfumées et dorées, celles de Picasso sont multicolores, puissantes, imposantes, gonflées de vie et de sexualité. Si Delacroix nous fait pénétrer dans l'univers intimes de ces femmes d'Alger avec pudeur et sérénité, Picasso nous présente des lieux chaotiques, anguleux, vifs, à la matière épaisse, et notre oeil, contrairement à chez Delacroix, n'a pas le droit au repos. Les deux peintres dialoguent et s'opposent, sans masquer l'autre. Notre oeil passe sans cesse de l'un à l'autre: attiré par la fougue picassienne, il ne peut s'empêcher de revenir vers Delacroix, comme pour mieux saisir ces deux personnalités. Il ne s'agit pas de jouer à "comparer" mais d'observer pour comprendre la composition, la lumière, l'énergie des personnages...
Je n'ai pas (encore) vu le "Picasso et ses maîtres" du Grand Palais, et je ne sais pas comment s'organise cette exposition basée sur la confrontation systématique de "Picasso avec ..." mais l'accrochage de quelques Picasso au Louvre, avec peu de texte (pas besoin de plus), au milieu des salles XIXe est un pari réussi!

Exposition du Louvre: infos pratiques & dossier de presse: http://www.louvre.fr/llv/exposition/detail_exposition.jsp
Exposition du Grand Palais www.rmn.fr/Picasso-et-les-maitres
Exposition du Musée d'Orsay www.musee-orsay.fr/fr/manifestations/expositions/au-musee-dorsay

4 commentaires:

Benjamin Couilleaux a dit…

Je crois bien que Picasso n'avait pas été accroché sur les cimaises du Louvre depuis...Malraux : c'est dire que ça date !

Personnellement, l'expo du Grand Palais m'a un peu laissé sur ma faim, mais je développerai mon idée bientôt dans un long article sur les 3 expos Picasso.

alix a dit…

J'ai également des amis qui sont sortis de l'exposition du Grand Palais "sur leur faim". D'après leurs dires et ce que j'ai vu/entendu/feuilleté, la confrontation des oeuvres se fait selon un parcours "chrono-thématique" contestable, et les comparaisons sont uniquement formelles/iconographiques (une femme nue vs une Maja Desnuda et une Odalisque; un autoportait de X vs un autoportait de Picasso) et l'exposition ne va pas vraiment plus loin (Picasso avait-il vu les oeuvres et vrai? les possédait-il en carte postale —couleur ou noir et blanc? — Quel contexte? Quid du rapport à la matière, la touche, la couleur? etc). Je vérifierai évidemment ces dires en allant voir l'expo (même si je suis toujours très méfiantes des "blockbusters" du Grand Palais) quand il y aura moins de monde...

Anonyme a dit…

elle a l'air bien sympa cette petite exposition du Louvre. tu m'as donné envie de la voir quand je reviens sur Paris. Et puis c'est pas tout les jour qu'on peut voir le contraste entre les oeuvres de Picasso et la présentation IXe du Louvre!

Benjamin Couilleaux a dit…

En effet, nous avons déjà dû nous croiser car je hante souvent l'école du louvre et le département des peintures...dans ces cas, il ne faut pas hésiter à me parler si tu me reconnais, ça sera avec plaisir !

A bientôt, et bon courage,

Benjamin