lundi 15 décembre 2008

Picasso déjeune sur l'herbe au musée d'Orsay

Les deux petites expositions "Picasso / un maître" de part et d'autre de la Seine (au musée du Louvre - voir ici - et au musée d'Orsay) sont aussi différentes que les peintres auxquels Picasso est confronté.
Ainsi, après la chaleur et la sensualité de Delacroix et la série d'après les Femmes d'Alger, Picasso entreprend, entre 1954 et 1962, une relecture du mythique Déjeuner sur l'herbe de Manet.

Scandale de la peinture au Salon de 1863, Le Déjeuner sur l'herbe déstabilise et horrifie le public bien pensant de la société bourgeoise du Second Empire en présentant au public une femme nue, assise au entre deux hommes habillés, pour un pique-nique dans un sous-bois, sans prétexte mythologique ni narration. La femme nue, représentée sans complaisance, regarde avec aplomb le spectateur, les deux hommes discutent avec elle dans une nature factice aux airs de décor de théâtre. Devant eux une nature morte est juxtaposée à la scène. Manet revisite les catégories académiques de la peinture, les juxtapose, les parodie, les allège du carcan dans lequel elles étouffent à la fin du XIXe siècle.

Picasso se trouve face à Manet dans une situation complexe. "Revisiter" Le Déjeuner sur l'herbe est très différent d'un travail à partir des traditionnels Rembrandt, Vélasquez, Ingres ou Delacroix: Manet est à la fois un maître et celui qui les a rejeté.

A travers la quarantaine de tableaux, dessins, gravures et maquettes réalisés entre 1954 et 1962, on perçoit le questionnement incessant de Picasso à propos de ce Déjeuner. Tantôt grave, tantôt ludique ou ironique, tour à tour fouillé, sombre et cerné de noir puis clair, épuré et lumineux, Picasso essaie tous les registres possibles, décompose, épluche, observe, change les couleurs, les médiums, les formats... pour comprendre et s'approprier l'oeuvre de Manet.
Moins spontané - il me semble - qu'en face des Femmes d'Alger de Delacroix, les différents Déjeuner sur l'herbe m'ont donné l'impression d'un travail lent (laborieux?), pour des oeuvres auxquelles il manquerait presque quelque chose. Impression étrange, renforcée par l'omniprésence de la couleur verte, tout à fait inhabituelle dans l'oeuvre de Picasso.

C'est par conséquent lorsqu'il s'éloigne le plus de l'oeuvre originale, mais sans en perdre l'idée, que Picasso retrouve sa verve et sa créativité. Il crée ainsi en carton, entre le 26 et le 31 août 1962, une série de maquettes des personnages pour des sculptures en plein air (un exemple ci-dessus à droite). Cet ensemble de maquettes est absolument génial, et Picasso, me semble-t-il, donne à voir l'essence de ce Déjeuner sur l'herbe, avec ses figures franches juxtaposées sur un fond de plein air.

Petit post-scriptum muséographique: les arbres verts et marrons stylisés peints sur les murs, sont à oublier, ils m'ont donné plus l'impression d'être dans une école maternelle que dans une exposition de musée!

Photos:
[1] Pablo Picasso (1881-1973) Le déjeuner sur l'herbe d'après Manet27 février 1960 Huile sur toileLondres, Nahmad Gallery© Succession Picasso, 2008
[2] Edouard Manet Le déjeuner sur l'herbe 1863 Huile sur toile H. 208 ; L. 264,5 cm Paris, musée d'Orsay donation Etienne Moreau-Nélaton, 1906 © RMN, Hervé Lewandowski
[3]
Pablo Picasso (1881-1973) Le déjeuner sur l'herbe : femme assise, 26 août 1962 1962 Carton découpé, mine de plombH. 31,3 ; L. 25 ; Pr. 21,5 cm Paris, musée Picasso© Succession Picasso 2008 - Photo RMN / Béatrice Hatala
[4] Pablo Picasso (1881-1973) Le déjeuner sur l'herbe d'après Manet, 17 juin 1962 1962 Mine de plomb, pastel H. 42,5 ; L. 52 cm Paris, musée Picasso© Succession Picasso 2008 - Photo RMN / DR

Lien vers le site du musée: cliquer ici

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je suis plutôt d'accord avec ta critique. Mais il me semble, qu'une fois de plus, Picasso se confronte aux maîtres sans trouver la solution pour les dépasser, du moins dans une technique similaire. (Personnellement, je n'ai pas vu ce qu'apportait de plus la recherche de Picasso, si ce n'est pour lui même dans le cadre de ses recherches plastiques) Il est vrai, pour pour le Déjeuner sur l'Herbe, que les sculptures sont intéressantes. Par un jeu d'inversion, conscient ou non, les figures réelles que Manet place dans un paysage fictif deviennent des êtres de béton placés dans un paysage réel.
Pour ce qui est des cimaises ornées d'arbres "naïfs", j'ai entendu un peu toutes les opinions, du positif et du négatif. Si le geste semble une recherche de ludique un peu gratuite, ces arbres peints ont au moins le mérite de différencier l'espace d'expo dans le musée, et de renvoyer au caractère artificiel du paysage de Manet.